Visite UTOP

Les coopératives d’habitants, alternative entre le logement social et la propriété individuelle

12 mai 2025

Une trentaine de personnes ont eu le privilège le 6 mai dernier de visiter le premier immeuble parisien géré par une coopérative d’habitants, rue Sorbier dans le 20ème, sur la base de la propriété collective. 

Le Labo de l'ESS, en partenariat avec Coop FR qui a mobilisé le réseau Habicoop, a eu l’idée ingénieuse d’organiser une visite apprenante de la coopérative UTOP, guidée par trois des 41 habitants (21 adultes).

C’est l’histoire d’un groupe de musiciens voyageurs…

UTOP est une coopérative d’habitants sociale et culturelle. Le montage de ce nouveau mode d’habitat -inscrit dans la loi Alur de 2014- aura pris dix ans pour UTOP, traversant les barrières culturelles et financières, le Covid et l’inflation. C’est l’histoire d’un groupe d’amis musiciens inspiré par ses voyages en Europe qui réfléchissent à un projet d’habitat participatif, anti-spéculatif et sans apport. À Paris ? Impossible, le foncier est saturé ! L’immeuble de 17 logements (7 étages) a vu le jour grâce à un appel à projets “Territoires Zéro Chômeurs de longue durée” de la ville de Paris en 2014 pour faciliter le développement de l’habitat participatif sur trois terrains, deux dans le 20ème et un dans le 19ème arrondissement. Accompagné par la coopérative HLM Coopimmo et une coopérative d’architecte militante Archi ethic, le groupe d’habitants construit pas à pas son projet. En 2016, UTOP est lauréate de l’appel à projets et signe, en mai, les statuts de la SAS coopérative. C’est parti ! 

UTOP accueille jusqu’en septembre l’exposition “Nous la commune!” de l’affichiste et street artiste Dugudus sur la vitrine de son immeuble.
UTOP accueille jusqu’en septembre l’exposition “Nous la commune!” de l’affichiste et street artiste Dugudus sur la vitrine de son immeuble.

Comment ça marche ?

Les habitants sociétaires ne sont pas propriétaires. La propriété est collective. Ils jouissent de leur logement dont ils ont l’usufruit pendant 60 ans. Pourquoi 60 ans ? C’est la durée de l’emprunt financé par le bailleur social Coopimmo -4 millions d’euros- qui a consenti un bail à construction à la coopérative d’habitants qui rembourse le prêt locatif social (PLS). Car il s’agit d’un logement social, dont les loyers sont indexés sur le plafond de revenus -avec trois niveaux de logements : PLAI, PLS et PLUS. Aucun emprunt personnel n’a été nécessaire. Les habitants sont sociétaires de la coopérative et lui payent un loyer qui permet le remboursement du crédit.
On a loupé le coche du Bail Réel Solidaire [BRS]”, regrette Christine Milleron, l’une des fondatrices, qui aujourd’hui permet à des ménages modestes de devenir propriétaires à un coût relativement abordable par rapport aux prix du marché immobilier.
Revendiquant un projet politique, trois logements sont réservés à des familles monoparentales, via le bailleur social Habitat et Humanisme.

Pas propriétaires mais responsables

Christine occupe un appartement avec son compagnon et ses deux filles, un trois pièces avec terrasse et une vue imprenable sur le Sacré-Coeur et la Tour Eiffel pour 950€ par mois, 15€ le mètre carré ! Ils sont sociétaires de la coopérative, pas propriétaires mais ils ont par exemple la possibilité de fermer la loggia pour y créer une pièce en plus ou en fonction des aléas de la vie échanger leur appartement avec celui d’autres habitants, plus grand ou inversement plus petit. Avec l’ensemble des coopérateurs et coopératrices, ils sont responsables du (bon) fonctionnement de l‘immeuble, du ménage à l’animation du lieu qui accueille des expositions artistiques, des concerts, des débats. Le local commercial du rez-de-chaussée est occupé par l’association Maison du 20e et la salle commune est louée à un collectif de journalistes. Un futur studio de musique -dont la sonorisation a été repoussée faute de financement- jouxte un grand local à vélo. Les espaces partagés sont nombreux, des paliers aménagés pour favoriser les discussions ou les pauses entre voisins, au toît-terrasse auquel on accède par la buanderie commune. Des outils divers sont également partagés, comme un aspirateur, des ustensiles de ménage ou un appareil à raclette. En cas de départ, les habitants repartent avec leur apport initial, qui correspond à la valeur de la part sociale de la coopérative, 2250€, indexée sur l‘inflation. 

Démocratie participative

Comment gère-t-on de façon démocratique un tel lieu de vie ? La gouvernance de la coopérative s’appuie sur le principe coopératif “une personne, une voix” qui place sur un même pied d’égalité les sociétaires. Chez UTOP, le vote n’est pas pratiqué, l’unanimité est toujours requise dans le cadre de discussions collégiales, y compris avec les locataires d’Habitat et Humanisme non sociétaires. “On discute beaucoup !” Tous et toutes participent au bureau de la coopérative à tour de rôle -avec la possibilité de refuser le mandat une fois. Ils s’impliquent à des degrés variables en fonction des périodes dans l’un des trois cercles qui régissent le fonctionnement de la coopérative : 1) le cercle des travaux, entretien du jardin, ménage, réparations, entretien du bâtiment 2) “jurififi”, le cercle juridique et financier 3) le cercle “liens” entre les habitants mais aussi au sein du quartier avec ses habitants et les associations. Les nouveaux habitants sont, quant à eux, choisis par tirage au sort, après trois réunions observantes, une lettre de motivation et la validation des plafonds de ressources. “Pour éviter l’entre-soi et la cooptation.”

« La démocratie participative, c’est partir d’un collectif vivant à partir duquel tisser des choses.», Florence Ostier, sociologue

« La démocratie participative, c’est partir d’un collectif vivant à partir duquel tisser des choses. » selon Florence Ostier, sociologue, ingénieure de politique publique. Les projets n’aboutissent pas lorsqu’ils sont vides de sens, malgré un volontarisme politique. Pendant ces dix années de co-construction, les habitants se sont auto formés sur une variété de sujets et ont acquis “une culture encyclopédique”. Ils ont appris en marchant, déambulé, cheminé.

« Les coopératives repoussent les limites de la propriété individuelle.», Christiane Chateauvieux, administratrice, ancienne présidente d’Habicoop

« Les coopératives repoussent les limites de la propriété individuelle.» témoigne Christiane Chateauvieux de la fédération Habicoop. Les habitants ont la jouissance de leur logement mais ne sont pas propriétaires. Il s’agit d’« une propriété collective garante d’un commun qui est pérenne » au travers d’une SAS coopérative. « C’est un choix politique ! » Une alternative entre le logement social et la propriété individuelle. 75% des habitants de coopératives d’habitants sont sous le plafond du logement social. 
La question est de savoir comment les collectivités peuvent s’emparer du sujet pour que la coopérative soit un instrument des politiques publiques. Il faut sécuriser la réalisation des projets. Un soutien pour reconnaître le modèle de SAS coopérative et Scic pour accorder des prêts de longue durée ! Habicoop travaille avec l’ANAH, l’ANCT, la Banque des territoires pour que la doctrine intègre les coopératives.
Jean-Baptiste Dupont de la Scic CAHP IDF, spécialiste de l’habitat participatif, confirme la nécessité d’une volonté politique pour ouvrir l’habitat participatif, « sinon, on n’y va plus ! »
Que se passe-t-il au remboursement du crédit par la coopérative ? La Suisse (40% de coopératives d’habitation en logement social à Zurich) a déjà travaillé sur cette question en créant une banque qui favorise le financement d’autres coopératives. En France, on y réfléchit, l’idée de la création d’un fonds de mutualisation fait son chemin.

L’Année internationale des coopératives 2025, décrétée par l’ONU, est l'occasion de promouvoir le modèle coopératif qui repose sur sept principes coopératifs. Le mouvement coopératif réuni au sein de Coop FR, organisation représentative des entreprises coopératives, a réactualisé ces principes dans un Manifeste coopératif, affiché dans la hall de l’immeuble de la rue Sorbier.